Par Fondation Grameen Crédit Agricole Le 4 mai 2020

Les institutions de microfinance internationales anticipent les premiers effets d’une récession

La crise commence à produire ses effets économiques

Quelques jours après notre dernière publication, l’impact du coronavirus continue de s’étendre et de s’intensifier. Le cap du million de contaminés dans le monde a été dépassé et de nouveaux foyers de l’épidémie se confirment.

La Fondation Grameen Crédit Agricole, en lien permanent avec son réseau de près de 80 institutions de microfinance (IMF) partenaires présentes dans 40 pays, continue son travail de collecte d’informations, d’analyse et de partage de ses observations. Au cours de ces derniers jours, nous avons centré notre suivi sur les conséquences de la crise et le travail des IMF pour y faire face.  Ces informations sont très importantes. Elles nous permettent, à notre niveau, de prendre les décisions les plus pertinentes pour la gestion de la Fondation, pour l’accompagnement de nos partenaires et l’efficacité de notre action au plus près de leurs difficultés et anticipations. Elles contribuent également au partage d’informations entre les acteurs de ce secteur qui s’organisent collectivement, dans ces moments de crise.

Les résultats que nous avons obtenus confirment les tendances pressenties dans les informations remontées lors des premières semaines : la crise est très dure, au-delà sans aucun doute de nos premières prévisions de début mars, mais la résistance s’organise. L’effet de la crise sanitaire est systémique. Aucun modèle de stress ne l’avait anticipé. La réponse devra être donc être systémique, elle aussi, si nous voulons éviter une défaillance majeure de cette industrie.  

Les petites activités de proximité entrent en récession

78% de nos partenaires constatent les premiers effets de la récession économique sur leurs zones d’activité.

Dans les premiers retours que nous recevions, les zones rurales semblaient échapper aux premiers effets de la crise, surtout dans les zones de production vivrière. Désormais, quelle que soit la taille des institutions (les plus petites ont un portefeuille de financement inférieur à 10 millions de dollars, et supérieur à 100 millions de dollars pour les plus importantes) et leur situation géographique, elles sont toutes, peu ou prou, confrontées à des problèmes similaires : l’impossibilité de déplacement (74%), la baisse des décaissements aux emprunteurs (77%), l’interdiction des réunions de groupe (63%) sont les raisons les plus citées par nos partenaires concernant les causes de ralentissement de leur activité.

« Comme indiqué lors de la première analyse, l'impact direct prévu (jusqu'à 6 mois) est la possible détérioration de la qualité du portefeuille dans les secteurs du tourisme, des transports et de l'hôtellerie, ainsi que celle des prêts financés par les transferts de fonds depuis l'étranger. Un impact à moyen terme est également attendu en raison du ralentissement général de l'économie et de la réduction de la clientèle solvable. » - Partenaire en Géorgie

Plus du tiers de nos partenaires subit des confinements quasi-totaux (36%) et les autres s’adaptent à des mesures contraignantes de pré-confinement.

« [Nos] activités ont été fortement affectées jusqu'à présent, les entreprises des clients étant principalement touchées par les craintes générales du public et plus directement par les directives strictes mises en place par le gouvernement pour tenter de contrôler la propagation du virus. Il est également anticipé qu'il y aura une augmentation du coût de la vie [...]. Les importations diminuent, les coûts de production augmentent. Il est probable que le PIB du Kenya chute et que l'inflation augmente, ce qui affectera l'économie du pays. » – Partenaire au Kenya

« Nous constatons que le gouvernement prend de plus en plus de mesures pour limiter les déplacements et les activités commerciales. Par exemple, un gouvernement régional a précisé que toutes les activités de microfinance dans la région devaient être suspendues pendant le mois d’avril. Nous recevons des demandes similaires de la part des autorités des villages d'autres régions. » - Partenaire en Birmanie

Des effets qui impactent désormais les comptes des institutions

Ces difficultés commencent à se traduire dans les chiffres des IMF. Ainsi, 74% des institutions expliquent avoir noté une hausse de leur portefeuille à risque (PAR 1) par rapport à la fin de l’année 2019. Cette augmentation est pour l’instant contenue à moins de 10% en valeur absolue pour 8 institutions sur 10.

Les institutions accélèrent clairement l’usage du digital et l’intensifient afin de compenser l’impossibilité des équipes commerciales de se déplacer et d’organiser des décaissements en main propre. Ainsi, 68% des sondés déclarent avoir recours à une utilisation plus importante des services digitaux pour réaliser leurs activités à distance.

Les opérations de restructuration des prêts ont déjà commencé pour près d’une IMF sur deux (43%). L’intervention annoncée des régulateurs et législateurs dans le secteur financier se confirme : près de la moitié des sondés (44%) sont incités à proposer pro-activement des moratoires et des restructurations au profit de leurs emprunteurs (les pays qui ont imposé ces mesures sont, notamment, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Sri Lanka, le Cambodge, l’Inde, l’Ouganda, le Burkina Faso, le Rwanda, le Sénégal, la RDC, l’Egypte, le Maroc et de nombreux pays d’Europe de l’est). De nouvelles initiatives commencent également à être envisagées, comme la mise en place de produits d’urgence (de type minimum vital) dans les mois à venir.

Les institutions mettent en place des plans de crise

Cette crise systémique engage une revue en profondeur des planifications d’activité des IMF et des besoins de financement. A l’examen, la hausse des reports d’échéance accordés aux emprunteurs ne se traduit pas encore, de façon significative, par des besoins en ressources financières additionnelles pour les IMF interrogées. Ainsi au moment de l’enquête, 48% d’entre elles ne percevaient pas encore de changements dans leurs besoins de liquidités par rapport aux projections faites pour l’année, et un tiers envisageait même une baisse de leurs besoins en raison d’une baisse significative de leur activité.

A ce stade, seule une IMF sur cinq (19%) anticipe une hausse de ses besoins financiers, liée à l’augmentation du prix des intrants (semences, engrais, matières premières...) qui déclenchera une hausse des besoins financiers de la part des emprunteurs, principalement dans les zones rurales de nos territoires d’intervention. Les grands réseaux internationaux de microfinance sont à l’origine de cette analyse prospective.

« En plus de la crise du Covid-19, le Kazakhstan a été touché par la forte baisse des prix du pétrole qui a affaibli la monnaie nationale de 380 tenges à 445 pour un dollar » - Partenaire au Kazakhstan

Les réponses de nos partenaires font apparaitre d’autres facteurs d’inquiétude désormais, notamment dans leur capacité à financer leur activité: un quart d’entre eux prévoient une perte de valeur de leur monnaie locale face au dollar (26%) et une augmentation conséquente des couvertures de change dans leurs financements à venir (23%). Une IMF sur cinq constate d’ores et déjà des difficultés de financement rencontrées avec leurs bailleurs de fonds habituels.

Pour pouvoir piloter au plus près la montée des risques et des évolutions de financement, plus de la moitié des Institutions IMF (55%) déclarent avoir finalisé, ou être en passe de le faire, un Plan de Continuité d’Activités incluant un suivi précis de la liquidité. Cette réactivité est remarquable et de tels plans sont un élément essentiel pour aider les IMF à faire face et gérer les conséquences de la crise.

Notre analyse nous amène à constater une apparente corrélation dans la qualité des Plans de Continuité d’Activité suite à la crise du Coronavirus et l’expérience passée d’une crise forte ayant déjà affecté l’IMF. Les enseignements tirés des crises passées semblent ainsi jouer un très grand rôle dans la capacité de résilience des institutions face à une crise, qu’elle soit financière, politique, sanitaire… Pour autant, bon nombre d’institutions moins expérimentées en la matière montrent également une volonté d’innovation et une capacité d’anticipation remarquables.

Les bailleurs de fonds ont également réagi très rapidement. Forts eux aussi des enseignements de crises passées, ils font montre, depuis quelques semaines, d’une capacité d’intervention et d’anticipation remarquable dans un secteur d’activité encore jeune, malgré tout. Ainsi, dans toutes les régions du monde les prêteurs internationaux, des Fondations, fonds d’investissement, banques locales, travaillent autour de plans d’actions communs. De multiples réunions s’organisent, un peu partout dans le monde, pour anticiper la crise et veiller à en absorber les effets qui seraient dévastateurs sans cette prise de conscience et cet engagement rapide et déterminé ; tous s’accordent sur la nécessité d’un partage d’information et d’une coordination efficaces entre les différents acteurs. Les bailleurs organisent leur action autour de réponses adaptées aux besoins en financement des IMF impactées par la crise, mais également en proposant des outils de suivi, des plans d’assistance technique ou des formations pour renforcer les capacités des équipes des IMF face à cette situation aussi soudaine qu’exceptionnelle.

Tous ces éléments rappellent à quel point cette crise est l’affaire de tous les acteurs de la microfinance. L’implication et la rigueur des institutions locales, la coordination des réseaux internationaux, le soutien des bailleurs de fonds publics ou privés et la confiance des investisseurs seront les valeurs clés de notre capacité collective à remporter le défi de ce tsunami sanitaire.

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